Etienne Appert,
le management de
bulle en bulle
LE MONDE ECONOMIE | 28.01.2013 à 11h39 • Mis à jour le
01.02.2013 à 14h46 | Par François Desnoyers
Il y a trois ans, Etienne Appert
s'est dit qu'il était grand temps de changer
de vie professionnelle : "J'étais vraiment à la fin d'un cycle,
j'allais tout droit vers la crise de la quarantaine !" Adieu, donc, le
consulting en management ; bonjour l'univers plus coloré de la bande dessinée !
Dans quelques jours, Etienne Appert fêtera ses 40 ans. Il se
prépare avec gourmandise à retrouver
le petit monde des bulles à
l'occasion du Festival international
de la bande dessinée qui se tient à Angoulême, du 31 janvier au 3 février. Il a
plein de projets dans ses
cartons. L'ancien cadre à bout de souffle est devenu un illustrateur de bande
dessinée épanoui.
En réalité, la rupture n'est pas totale avec la vie d'avant. Le titre
de son prochain ouvrage ? Managemental. L'histoire du précédent ? Celle
d'un patron de petite entreprise entraîné par la chute de la banque américaine Lehman Brothers
dans une spirale infernale faite de pertes de clients, de licenciements et de
dépôt de bilan (Lehman, la crise et moi, La Boîte à bulles, 2012).
SA VIE D'AVANT DANS DES PETITES CASES
En basculant dans le 9e art, Etienne Appert n'a pas vraiment tourné
la page. Il a plutôt décidé de mettre
sa vie d'avant dans des petites cases. "Dans les disciplines
artistiques, on ne parle que de soi", reconnaît-il bien volontiers.
De même, la BD n'a pas été, pour lui, une découverte tardive. "Ça
a toujours été mon mode
d'expression, j'ai noirci des milliers de pages dans mon adolescence. C'était
assez obsessionnel, comme une sorte de pathologie", s'amuse-t-il. Son
diplôme d'ingénieur en poche, il va se lancer
"durant quinze ans dans une double vie : j'étais consultant le jour et
dédiais mes nuits au dessin et au théâtre". Un bouche-à-oreille
favorable lui assure quelques activités d'illustration, qui restent
circonscrites à la sphère extraprofessionnelle. Les bulles ne pénètrent pas le
champ du management.
Un champ qu'il ne vit toutefois pas comme un repoussoir. "Le
monde de l'entreprise est rude, mais les expériences vécues sont parfois
passionnantes, on peut faire
oeuvre de créativité ici aussi, juge-t-il. On traite de l'humain, un
jour sur une chaîne de montage, un autre chez un grand couturier."
QUELQUES ILLUSIONS
Au fil des ans, avec la perte de quelques illusions,
l'enthousiasme retombe toutefois. "On se rend compte progressivement
des limites d'une transformation des organisations de l'intérieur",
constate-t-il. Et il y a ce monde parfois étouffant de l'entreprise avec son
vocabulaire, ses codes, ses hypocrisies aussi. Autant de sources de
frustration... et d'inspiration.
Etienne Appert peut désormais dire
tout haut, dans des bulles, ce que beaucoup, au bureau, pensent tout bas. La
langue de bois des réunions de travail, les théories parfois obscures du
management : tout ce petit monde est désormais croqué avec humour sous son
crayon.
Mais comme vivre
de son art n'est pas chose aisée, le consultant n'est pas tout à fait mort :
Etienne Appert intervient ponctuellement dans des entreprises en proposant
notamment des comptes rendus de séminaires... en bande dessinée. "C'est
vrai qu'en apparence je suis passé d'une situation sécurisée à davantage
d'incertitudes, note-t-il. Mais comme je fais ce que j'aime vraiment, je
porte en moi beaucoup moins
d'inquiétude."
Une sérénité qui s'explique peut-être également par la
"conjuration" de ce que l'illustrateur nomme, dans un sourire,
sa "malédiction" : ce grand écart schizophrénique entre art et
management.
Ses dessins d'adolescent parlaient déjà pour lui, avec un
soupçon de prémonition: ils mettaient très souvent en scène des personnages
tiraillés entre un monde rêvé et une réalité dure à vivre.